D'abord écrivain anti-Poutine, Prilepine est devenu soldat du Kremlin en Ukraine

Invité au Salon du livre de Genève, l’enfant terrible de la littérature russe ne s’en prend plus au président Poutine. Rencontre avec un écrivain qui préfère la «guerre à la politique».

L’emblème de la nouvelle littérature russe est de retour à Genève. Zakhar Prilepine, le plus connu mais aussi le plus controversé des écrivains de la nouvelle génération moscovite, sera l’une des stars du Salon du livre ce week-end. Dès vendredi, il est attendu au club suisse de la presse. Pour parler de ses voyages littéraires.

Mais aussi de ses zigzags politiques. En 2011-2012, Zakhar Prilepine était en première ligne des manifestations contre le Kremlin de Vladimir Poutine. Aujourd’hui, à 42 ans, l’écrivain est pris sur un tout autre front: la guerre au Donbass. Dans l’est de l’Ukraine, il dirige depuis deux ans l’un de ces bataillons de séparatistes pro-russes équipés et organisés par Moscou contre l’armée de Kiev.

«La guerre m’intéresse plus que la politique!» confie Zakhar Prilepine, de passage à Moscou. Avachi dans sa chambre de l’hôtel de l’Armée rouge, il reçoit en jeans et polo, plus arrogant que jamais mais toujours aussi attachant. Crâne rasée, yeux bleus et ronds, il parle comme une mitraillette. Régulièrement, il pianote en même temps sur son téléphone portable. Une salve de SMS envoyés à sa femme qui, avec leurs quatre enfants, vit à Nijni Novgorod au bord de la Volga.

Une mitraillette pour sa fille

Une partie de la famille avait déménagé un temps avec lui au Donbass. «Ma fille de 12 ans a adoré!» assure-t-il. «Elle a appris à relativiser les problèmes de la vie. Et je l’ai initiée à la mitraillette. Un apprentissage aussi vital que la couture et la vaisselle.» L’adrénaline est le moteur de Zakhar Prilepine.

Dans ses livres (des best-sellers, de «Péché» à «L’Archipel des Solovki»), il décrit la vie de tous ces gens qui, vraies forces de la nature dans une Russie joyeuse et cruelle, finissent par ne faire qu’un seul personnage: le double de l’auteur, tout à la fois idéaliste et désinvolte, tendre et violent, ambitieux mais paumé. Et bourré de contradictions.

La «vraie Russie» pour idéal

Son idéal, c’est «la vraie Russie», journées d’ermite dans la forêt de bouleaux, rencontres entre copains à la datcha, soirées de saoulerie en ville, discussions crues sans tabous…

Mais Zakhar Prilepine aime aussi sa vie de star médiatique, omniprésent sur le web, à la télévision et dans la presse. Et, entre deux élans anarcho-patriotiques moquant la «vie matérialiste à l’européenne», il reconnaît avoir pris goût aux rémunératrices tournées de promotion de ses livres. «En tête, j’ai un million d’idées de romans dont un sur le Donbass», affirme Zakhar Prilepine.

À vingt ans en Tchétchénie

À vingt ans, il s’était déjà engagé en Tchétchénie auprès des forces spéciales russes. En revenant du combat, il s’était lancé dans une carrière d’écrivain, avec son premier récit «Pathologies». «Sur le Donbass, c’est trop tôt pour écrire. Il faut attendre que le travail de mémoire fasse son tri, que la mélodie vienne», explique-t-il. Politiquement le conflit est dans l’impasse «parce que ça se joue bien au-dessus de nous, entre Moscou et Washington».

Zakhar Prilepine est désormais résolument du côté de Vladimir Poutine. «Il a sauvé le Donbass. Sans lui, les Ukrainiens nous auraient tous tués», lance-t-il. Au passage, il reconnaît avoir croisé des officiers russes sur le terrain, malgré les démentis de Moscou sur la participation de son armée. «Au Donbass, on construit quelque chose», insiste-t-il.

Entêté au cœur grand et aux idées fixes, protestataire anti-Poutine en 2011-2012 au milieu des foules libérales, soldat de Poutine depuis 2014 parmi les séparatistes pro-Kremlin, Zakhar Prilepine assume: «J’aime la turbulence…»

Zakhar Prilepine sera au Salon du livre de Genève, samedi 28 avril à Palexpo, de 13 h à 13 h 45: scène Philo.

(Tribune de Genève)

Benjamin Quenelle / Moscou
Tribune de Genève, 24.04.2018