Prilepine, heritier de Gorki

Zakhar Prilepine est considere comme l’un des ecrivains les plus talentueux de sa generation. On le compare souvent a Gorki.

Comme son illustre predecesseur Alexei Peshkov, dit Gorki, Zakhar Prilepine vit a Nijni-Novgorod, bien qu’il n’y soit pas ne. Et comme lui, il a un certain passe en dehors de la litterature. Gorki avait « appris la vie » aupres des proletaires, des marginaux et des revolutionnaires de la fin du XIXe siecle. Prilepine, lui, a connu la Guerre de Tchetchenie, a laquelle il a participe de 1996 a 1999. Une experience qui, forcement, influence son ?uvre lorsqu’il devient ecrivain. Cela est bien visible, notamment dans Pathologies, son premier roman, publie en 2004.

L’engagement politique de Prilepine, aupres des natsboly

Mais c’est surtout le second roman de Prilepine, edite en 2006, qui en fait un heritier de Gorki. Son heros, San’kia (c’est aussi le titre du livre), n’a qu’une seule idee en tete : mettre a mal le monstre bete et mechant que represente a ses yeux l’Etat russe. Avec sa police ultra violente, qui un soir tabasse presque jusqu’a la mort le jeune revolutionnaire. Le petit groupe de San’kia erre de manifestations en actes de vandalismes, devoue a la cause de son maitre, Kostenko, dont on devine aisement qu’il s’agit d’une replique imaginaire d’Edouard Limonov. Prilepine lui-meme, ne cache pas son admiration pour son ami, leader du Parti National Bolchevique auquel il adhere. Il l’affirmait encore il y’a peu dans une interview accordee a Liberation : «Les Francais ne comprennent pas Edouard Limonov. C’est un malentendu. Deux ans avant sa mort, Anna Politkovskaia a dit de Limonov qu’il etait l’un des hommes les plus droits, les plus democratiques du pays. Ce n’est pas un nationaliste, c’est un prophete de la liberte. Il n’a jamais verse une goutte de sang, ses actions sont non-violentes. Dans notre parti, 120 personnes ont fait de la prison sans avoir rien fait de mal.»

San’kia, un roman qui ressemble a du Gorki…

San’kia a valu a Prilepine d’etre definitivement considere comme l’heritier de Gorki. Lorsqu’on le lit, on pense en effet a La mere, ?uvre majeure de ce dernier. Dans La mere, on suit la trajectoire de l’un de ces travailleurs, qui, decouvrant les theories revolutionnaires, sort petit a petit de l’univers sauvage de son faubourg ouvrier inhumain, pour construire une societe a laquelle revait a l’epoque toute une categorie de la population. Celle qui amena les Revolutions russes de 1905, puis de 1917. Le roman est ainsi nomme en raison de la figure centrale qu’y occupe la mere du heros, femme vivant dans l’ombre d’un mari alcoolique et extremement violent, comme l’etaient dans la description que nous en fait Gorki tous les hommes de ce monde obscur. Effrayee dans un premier temps par les lectures et les reunions interdites de son fils, qui valent a ce dernier d’etre arrete, elle finit par le suivre dans sa lutte, incarnant cette figure presque divine de la mere russe au c?ur immense, faisant face a tous les malheurs avec courage et resignation.

… cent ans plus tard

Autres temps, autres m?urs. Il est interessant de voir la transformation du heros revolutionnaire russe, cent ans apres celui de Gorki. Bien des desillusions sont passees par la, et il est difficile de trouver des ressemblances entre San’kia et Pavel Vlassov, le heros de La mere. Ce dernier, en embrassant la cause marxiste, renonce a la vodka, se met a lire, change totalement sa facon de vivre. Le heros de Prilepine, lui, passe son temps a boire avec ses compagnons de lutte, dont les idees ne sont pas vraiment aussi claires que celles du heros de Gorki. En clair, les revolutionnaires russes d’aujourd’hui, ceux de Prilepine, n’ont pas le caractere ni la force mentale de ceux d’hier. Et si la mere de San’kia apparait tout au long du roman de l’ecrivain contemporain, ce n’est a aucun moment pour prendre part aux luttes de son fils, qu’elle ne comprend pas plus que lui. Ces jeunes s’apparentent plus a des kamikazes, comme le notent les editeurs de la version francaise de l’?uvre : « Anna Politkovskaia avait de la sympathie pour ces jeunes, les seuls a oser affronter, a leurs risques et perils, le pouvoir en place. Des jeunes a qui on ne laisse que la liberte de se fracasser la tete contre les murs et de passer a l’action directe ».

Realisme et authenticite, maitres mots de l’?uvre de Gorki, comme de Prilepine

Plus que le roman en lui-meme, c’est donc l’authenticite de l’auteur dans son rapport aux revoltes qui unit Gorki et Prilepine. Les deux ont en commun cet engagement, ne d’une experience personnelle tres eloignee de la litterature, mais mis au service de cette derniere. C’est en cela que Prilepine est un digne successeur de Gorki, le realiste. Avec ce meme gout de la verite, que l’auteur de San’kia laissait paraitre il y a encore peu de temps dans une interview donnee a Rossiiskaya gazeta : « L’unique instrument que je possede pour connaitre et decrire le monde, c’est mon honnetete. La tache qui m’est impartie est de vivre et de sentir la vie dans sa plenitude, au maximum des possibilites qui me sont accordees. Et si ensuite je peux rapporter cela a quelqu’un… »

Dimitri Vivodtzev
Suite101, 08.12.2010